samedi 5 juillet 2008

Le mythe de Gaïa la bienveillante

Ou pourquoi je ne vois aucun problème à prendre des cachets de vitamine B12.

Pour ceux qui ne le savent pas, la vitamine B12 est le seul nutriment à ne pas être présent en quantités satisfaisantes dans le règne végétal. Cette vitamine est produite par une bactérie (nota pour ceux qui n'ont pas eu le bac grâce à leur note en bio: les bactéries, êtres unicellulaires simplissimes, ne sont ni animaux ni végétaux. Les végétaliens refusent de manger ce qui vient des animaux mais n'ont absolument aucune scrupule à exploiter les bactéries) présente dans les matières organiques en décomposition, que ce soit dans l'humus du sol ou dans le côlon des animaux - y compris le nôtre. En revanche, la vitamine qu'elles produisent ne peut être absorbée par les humains qu'au niveau de l'intestin grêle, et comme en général la nourriture voyage dans le sens inverse, il faut en trouver une autre source. Pour les omnivores ce sera la viande ou les sous-produits animaux ; pour les végétaliens ce sera par le biais de compléments vitaminiques ou d'aliments enrichis - la bactérie est cultivée directement dans des boîtes de Pétri au lieu de l'être dans l'intestin d'une poule, et la vitamine récoltée est ajoutée à des aliments pré-existants ou mise sous forme de cachets ou d'ampoules au lieu d'être pondue.


En France encore plus qu'ailleurs, les suppléments alimentaires ont mauvaise réputation. L'idée généralement répandue étant que si on prend des vitamines - pardon, si on doit prendre des vitamines - c'est qu'on a échoué à avoir une alimentation naturelle et équilibrée. Tout le monde de hurler alors, que le végétalisme n'est pas une alimentation naturelle puisqu'elle nécessite des compléments alimentaires. Et d'amalgamer à tous va: c'est une alimentation non naturelle, naturellement déséquilibrée, non viable, c'est un caprice de riches (ça c'est bien l'idée qui m'horripile le plus, puisqu'au contraire renoncer aux produits animaux est le mode de vie le plus économique en ressources, qui permet alors la meilleure redistribution des ressources de base - eau, blé, haricots, terre arable - vers les humains qui en ont bien besoin. Alors que la population humaine mondiale connait une crise alimentaire, ça me semble être la plus immorale des désinformations.)

Mais tous ces cris viennent d'omnivores qui pour la plupart n'y connaissent pas grand chose en nutrition - au mieux se souviennent-ils de la pyramide alimentaire vue en CE1, et de l'unique jour où ils sont rentrés de l'école en disant à leur maman qu'ils ne mangeaient pas assez de légumes, c'est la maîtresse qui l'a dit! On tend à penser que, puisque le modèle le plus répandu n'a pas l'air de trop mal marcher, ce serait stupide d'essayer autre chose. La vérité, c'est que la plupart des Français, pourtant omnivores et amateurs de fromage, n'ont pas une alimentation équilibrée. On se souvient vaguement du message "viande=fer", et pourtant un tiers des enfants, et un quart des femmes adultes mangeuses de viande sont en carence. D'autre part, on est poussé à croire qu'en ce qui concerne les conséquences d'une alimentation omnivore [en] - élévation du cholestérol, des maladies cardio-vasculaires, des cancers du système digestif - il faut faire avec et qu'il sera bien temps de s'en préoccuper quand on aura 55 ans, alors qu'on sait qu'elles peuvent être réduites par une alimentation basée sur les végétaux. Tout ça pour dire que ceux qui crient à l'alimentation déséquilibrée feraient bien d'ouvrir un bouquin d'initiation à la nutrition avant de s'inquiéter pour nous (c'est gentil, mais je vais très bien, ne vous inquiétez pas!)

Et d'ailleurs, "déséquilibré", ce n'était pas la seule critique, n'est-ce pas? "Non naturelle", c'était l'autre cri de ralliement. Mais qui a une alimentation naturelle aujourd'hui? D'abord, qu'est-ce qu'on peut qualifier de "naturel"? Si par naturel on entend, ce qui existerait sans intervention humaine, alors bon courage. Absolument tout ce qui est consommé par les humains, végétaux et animaux, n'a rien à voir avec sa forme d'origine. Tout être vivant destiné à servir l'Homme a été modifié par un peu plus de dix mille ans de sélections, croisements et décisions humaines, absolument non naturelles. L'idée même de concentrer une certaine espèce sur une surface déterminée et de s'en occuper intensivement pour obtenir un meilleur rendement (c'est à dire, le principe de l'agriculture) est l'antithèse de la nature (qui laisse faire le hasard et a un rendement tout pourri).
Si on fait abstraction de dix mille ans d'agriculture et qu'on entend par naturel ce qui peut vivre et croître, dans l'état, sans intervention humaine massive, alors notre alimentation ne l'est toujours pas, en tout cas pas si on veut qu'elle nous soit bénéfique. Le maïs, même bio, a besoin d'intervention humaine pour produire des graines, les dindes, même élevées en plein air, ne peuvent pas se reproduire autrement que par insémination artificielle, et l'eau n'est potable que si débarrassée de ses très naturels parasites. D'autre part, un humain consommant principalement ce qui peut vivre naturellement près de chez lui (si on entend par naturel sans intervention technologique, que ce soit pêche en pleine mer, culture sous serres, culture hors sol, congélation, import par avion, enrichissement artificiel des aliments) aurait bien du mal à avoir une alimentation saine. A San Francisco ou Kuala Lumpur on s'en tirerait pas trop mal, mais le Chti serait rachitique (pas assez de soleil, donc pas assez de vitamine D, comme dans tout le nord de l'Europe [en]) et le Franc Comtois retournerait à son état naturel de crétin des Alpes.

Heureusement donc qu'on ne laisse pas faire la nature! Comme le bio, les médecines naturelles et le retour aux sources sont à la mode ces temps-ci, il est difficile de comprendre que la nature ne nous veut pas du bien. Les autres éléments et organismes de la nature nous sont au mieux indifférents, au pire veulent nous manger. La nature elle-même ne nous veut pas grand chose, d'ailleurs, elle continue simplement la méthode qu'elle utilise depuis à peu près 3,5 milliards d'années: elle produit des accidents par hasard, la plupart sont vraiment trop mal foutus et meurent, les autres font des enfants s'ils ont le temps. C'est en se battant férocement contre la nature que l'espèce humaine a pu survivre si longtemps sans griffes ou carapace, a dépassé une espérance de vie de 30 ans, garde ses dents, ne perd plus la majorité de ses femmes en couche ou la majorité de ses nouveaux-nés avant 1 an, peut vivre sans trop se préoccuper du tétanos ou de la tuberculose ou du botulisme. Bien sûr les conditions changent et on a tout intérêt à se poser des questions, s'informer, remettre en cause notre mode de vie et de façon générale continuer de faire usage de l'accident le plus caractéristique de notre espèce - notre cerveau démesuré.


Consommer bio, c'est bien; non pas parce que c'est naturel mais parce qu'un raisonnement logique nous montre qu'en l'absence de risques de contamination majeure, comme c'est le cas chez nous, l'utilisation de pesticides est plus nocive que bénéfique. Quand on parle de végétarisme ou de végétalisme, l'argument du naturel n'a pas lieu d'être: notre cerveau nous donne les moyens d'arriver à la conclusion que cette alimentation est globalement bénéfique pour notre santé individuelle, pour la nutrition de la population humaine, pour la préservation d'un environnement dans lequel on aimerait continuer à vivre pendant quelques générations, et aussi qu'il est moralement plus satisfaisant de vivre sans causer ni cautionner de souffrances inutiles chez ceux, humains ou non, capables de la ressentir.

Voilà! Aelle vous a présenté: un ingénieur vous explique le végétalisme. Il y a encore des liens pour information dans la colonne de gauche. Les demandes de clarification, questions intelligentes et remarques pertinentes sont appréciées dans les commentaires, les insultes seront chassées à coup de lattes. Merci, bonne soirée!